jeudi 31 janvier 2008

Envoyé Spécial toujours en quête d'enquête


La télévision publique n'enquête plus, ce n'est pas nouveau. En voici encore un exemple ce soir.
Envoyé Spécial, émission phare de l'information publique, traite d'un sujet ô combien douloureux, les ravages de l'alcool au volant. 9000 blessés et plus de 1000 morts par an, dont une majorité de jeunes, nous apprend le reportage. Puis on voit une succession de drames, de faits divers, d'arrestations, d'alcotest, de bagarres de jeunes bourrés... Mais pas d'info.

L'info, elle n'était pourtant pas très dure à chercher, ni à trouver.
Pourquoi l'alcool est encore autorisé, voire subventionné, alors que le tabac est désormais interdit dans les lieux publics ? Le lobby du tabac serait-il moins puissant que le lobby de l'alcool ? Voilà une question qu'il aurait été intéressante d'entendre poser sur France 2, et à un responsable de Ricard par exemple.

En effet, mon analyse est que le lobby de l'alcool, avec des poids lourds comme LVMH (leader mondial des spiritueux) et Ricard (leader incontesté sur le marché national) pèse infiniment plus lourde que le lobby des cigarettiers, dont les principaux acteurs sont anglo-saxons ou chinois et oeuvrent en priorité sur les marchés émergeants. Pas les alcooliers.

La France a une tradition vinicole, ma famille et celle de ma femme par exemple ont toutes deux des origines viticoles en remontant quelques générations seulement. Ce n'est pas un hasard. Le vin est une religion, la France est d'ailleurs le premier pays consommateur au monde (source : FAO, 2005). Mais l'alcool n'est pas en reste. Ricard est une institution, de même que le champagne, et les spiritueux dont LVMH est le premier promoteur. On le sait moins mais Ricard est aussi très présent dans cette industrie, par exemple il est le 3è producteur mondial de vodka avec 4.8 millions de caisses de 9 litres de Stolichanaya (marque de vodka de Ricard) en 2006 (source Le Figaro du 11 octobre 2007).

Tout cela pèse dans une économie nationale ... et sur la réticence de journalistes de télévision à enquêter sur un tel pouvoir. Pourtant, des livres existent, écrits par des gens qui ont enquêtés sur le sujet, ou mieux, qui décrivent la vie d'un représentant commercial de Ricard. Pour ce dernier exemple, je veux parler de l'excellent livre paru chez Max Milo en 2005, et passé complètement sous silence, "Dealer légal". Le journaliste nous explique la vie de ce représentant commercial qui pousse les gens à boire, à devenir dépendant de l'alcool, à commencer par les jeunes qui constituent évidemment son coeur de cible. Fidélisés, ils financeront tous les efforts entrepris à la puissance mille. Le problème, c'est que même les représentants de Ricard deviennent dépendants à l'alcool, et se ruinent littéralement la santé pour vendre leur came légale. Le représentant dont il est question a même failli en mourir, et s'est fait recoudre l'anus qui était parti en sucette (à l'anis). En effet, comment ne pas montrer aux clients qu'on aime ce qu'on vend ? Il explique comment il vendait mieux quand il buvait lui-même devant ses clients. La descente aux enfers de ce représentant que le journaliste décrit est terrible, et pour le représentant, et pour ses clients, rendus toujours plus dépendants. Les drames s'enchaînent, je renvoie au livre pour le détail et la fin de l'histoire.

Qu'est-ce qui empêchait les deux journalistes superstars d'Envoyé Spécial de commander ce livre, de le lire (ou même de le faire lire), et d'en parler, voire d'interviewer son auteur ou le journaliste qui l'a écrit, voire (rêvons un peu) d'aller contre-enquêter pour voir si ce qu'il dit est vrai et dans quelles proportions ? Rien. Rien ne les en empêchait. Ni le temps (le plus gros du travail avait déjà été fait par Max Milo), ni l'argent (le coût d'un livre), ni l'intérêt... Ah si, j'oubliais une chose : le poids financier de Ricard, un des premiers annonceurs de la chaîne publique. Gageons qu'avec la suppression de la pub des chaînes publiques ce comportement disparaîtra, mais quelque chose me dit hélas que non.

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